Sinistre gauche

Or, je l’affirme, le fils tout-puissant de Chronos, le jour où les Argiens montaient sur leurs vaisseaux aux rapides trajets, pour porter le meurtre et la mort aux Troyens, nous donna la preuve de son assentiment ; il tonna sur la droite, nous montrant ainsi des signes favorables.

Ainsi parle le sage Nestor aux Achéens, dans le chant II de l’Iliade, alors qu’ils s’apprêtaient à le rivage troyen sans avoir vaincu…


« sur la droite » : des signes favorables. Pourquoi ?

Pour en comprendre la raison, il faut se référer à leur façon de s’orienter. Pas de boussole, pas de GPS, juste le ciel. Et l’étoile polaire, au Nord. Et ils avaient aussi coutume de le faire lorsqu’ils interrogeaient les dieux. La droite, c’était donc l’Est, là où réapparaît chaque matin le soleil, véritable renaissance.


Et sur la gauche ?
De l’autre côté, par contre, sur la gauche, c’est l’ouest, l’Occident, là où « chute » chaque soir le soleil (du latin occidere, tomber). Et si la nuit se prolongeait, si l’occident avait avalé définitivement la lumière, si la gauche triomphait ?

Gauche, en latin, se dit senester, un mot qui a donné le français sinistre. Si les présages viennent de la gauche, de senestre disait-on autrefois, ils sont dangereux, annonciateurs de malheur. Ils inspirent l’effroi, engendrent la peur, accablent de malaises et d’inquiétudes, génèrent l’angoisse et entravent l’action.

Le mot gauche, dont l’origine reste obscure, a remplacé petit à petit le mot senestre pour prendre son essor au 14ème siècle pour une raison tout autant inconnue. Il est resté porteur d’une idée négative : se lever du pied gauche, c’est mal commencer sa journée, de mauvaise humeur. L’adjectif gauche qualifie tout ce qui s’écarte d’une norme, ce qui est dévié par rapport à une ligne, une référence (cf. TLF). Intéressant ! Une personne gauche est lourde, empruntée, disgracieuse, maladroite, mal assurée ... Tout à fait contraire à ce que la société attend d’elle, donc ! Comme ce pauvre Poil de Carotte dont Jules Renard dit que, la mine tout à coup confuse, le dos rond, l’attitude apparemment gauche et penaude (...) enfouit sa tête simiesque dans la doublure ouatée (de sa casquette) sans dire un mot. Une attitude à cent lieues de ce que tous les braves gens attendent ! On passera sur le fait qu’en plus il était roux, une autre déviance en son temps ...

Isabelle

 

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